Où est le sédentaire ? Où est le nomade ?
Paul Virilio bouge les lignes. Il déclare au Monde : « Désormais, le sédentaire est celui qui, très mobile, est partout chez lui, grâce au téléphone mobile ». Admettons le paradoxe ! Dans ce cas, les Japonais sont très sédentaires. Ils sont à ce point en avance sur l’internet mobile qu’ils cherchent à développer… l’internet sédentaire. Deux reportages d’Etreintes Digitales, le blog média du Figaro (Du mobile à la fibre & Mobile, mon amour) racontent une réalité un peu plus compliquée, mais pleine d’enseignements.
On connaissait déjà l’ampleur de l’internet mobile au Japon ; en 2007, il étaient 66 millions à se connecter depuis un PC, contre 70 depuis un mobile (Le marché de l’internet au Japon). Tout le quotidien tend à tourner autour du mobile qui, entre autres inclut les cartes de fidélité, et 40% des mobinautes lisent des mangas sur mobile. Télévision, m-commerce… Le fait est là : le mobile est le média du mobinaute nippon. Ce n’est pas faute de lignes fixes à très haut débit. Mais elles sont notoirement sous exploitées. Dès lors KDDI, deuxième opérateur mobile du pays, a lancé l’au BOX, une plate-forme multimédia connectée au réseau de fibre optique. Cette box (en location pour 2,5 € par mois) permet de télécharger du contenu musical et vidéo depuis internet ou un CD/DVD et de le transférer sur un mobile (ou un téléviseur). Même plus besoin de passer par la case PC. En bref, les bénéfices du nomade en jouant sur le sédentaire.
Les formats publics de communication
Au 4e Mobile Monday, consacré à l’innovation dans la ville, la ville était un laboratoire pour le concours Jeunes Talents Innovation de SFR pour des projets citoyens à Nantes, Bordeaux, et Toulouse. L’innovation est : communautaire avec le « city-guide 2.0 » Qype.fr où les bons plans sont tenus par les usagers de la ville : imaginaire avec Futurs en Seine, une série d’événements des futurs possibles de la ville ; et communicante avec le projet BlueRennes.
Cette dernière initiative, à peine lancée, regorge de promesses… et de limites. Sept panneaux d’affichage ont été équipés de bornes Bluetooth et installés dans l’agglomération rennaise. Ces panneaux diffusent des flux RSS (vocalisés pour certains) et délivrent du contenu gratuit et non commercial : agendas culturels et municipaux, info-trafic, podcasts de Radio France Bleu et l’actualité du Stade Rennais. Donc un dispositif expérimental Bluetooth fonctionnel, informatif et géocontextuel. Les chiffres parlent : 100 journées de fonctionnement et 1000 connexions proposées chaque jour à des mobiles ayant le Bluetooth activé. En regard, un taux d’acceptation de contenu (la borne envoie un message invitant à recevoir le contenu) autour de 3%. Un résultat à prendre avec des pincettes : l’installation BlueRennes profite de la curiosité des usagers mais paye leur manque d’habitude à manier ces outils.
Le taux est certes faibles, mais ses variations livre quelques enseignements. La borne du CRIJ, destinée aux jeunes affiche un médiocre 1% (située en centre-ville), tandis qu’il frôle 5% dans le hall de l’aéroport rennais où la borne délivre l’agenda culturel de l’agglomération. Ce décalage a trois explications : la pertinence de l’information dans son contexte, l’absence de prolongement serviciel (achat de billet, inscription à des activités, etc…) et l’inadéquation supposée entre borne et mobilité (les bornes fonctionnent mieux dans les lieux d’attentes).
Une contradiction avec l’objectif affirmé de l’opération BlueRennes de proposer « un service public de communication nomade dans l’espace urbain ». Est-il possible de faire coïncider mobilité et information ? Est-ce la vocation des bornes ? (Thema Chronos : La borne ou l’extension des hubs et des réseaux) La question reste ouverte quand le Bluetooth connait un fort engouement comme média de l’e-marketing public ou privé (Dans les filets de l’everyware). Comment concevoir des formats qui s’intègrent dans le nomadisme ? (Formats mobiles et Twitter en embuscade). La vocalisation des flux ne semble pas une réponse suffisante. L’innovation technologique ne crée pas le besoin. Précieuses informations au moment où l’informatique urbain devient ambiante.
Dans les filets de l’everyware
Vous vous promenez admirant les courageuses feuilles qui résistent tant bien que mal à Newton… et votre mobile sonne. Le coupable est une borne équipée du réseau Bluetooth (La CNIL s’inquiète du développement des spams par Bluetooth). Le SMS reçu vous propose d’accepter une publicité sur votre mobile. Bien sûr, vous pouvez refuser, mais le mal est déjà fait…
Comment garantir la tranquillité de l’utilisateur dans l’everyware (l’informatique ambiante) dans lequel chaque objet peut être une borne communicante ? La CNIL vient d’émettre un avis défavorable concernant l’envoi de SMS intrusifs via les réseaux Bluetooth (Pas de publicité via Bluetooth sans consentement préalable). Malgré cela, ces propriétés de l’everyware fascinent les annonceurs. Ils se prennent à rêver de marketing intensif quitte à braver la tranquillité.
Erreur ! 6 consommateurs sur 10 pensent que l’envoi de messages non-sollicités dégrade l’image d’une marque (d’après le « Baromètre de l’intrusion » de l’agence ETO ;
Jusqu’où irez-vous avec une marque) et près d’un consommateur sur deux se déclare en profond désaccord avec la réception de publicité sur mobile (Nouveaux usages sur mobiles).
Haro, donc à la publicité intrusive. A l’inverse, l’interaction entre l’annonceur et le consommateur fait des émules, grâce aux nouvelles technologies de balisage : les puces RFID et NFC (Near Field Communication ; La mémoire est dans l’objet). Pour avoir un sens, la publicité implique nécessairement le consommateur (E-marketing et sécurité au coeur de l’innovation française).
La mémoire est dans l’objet
Après Nabaztag, le relais de communication personnalisé, Violet vient de commercialiser Mir:ror, un lecteur de puces RFID customisable (TrendsNow : Miroir magique) tandis qu’Alcatel-Lucent rentre dans le jeu avec Tikitag, un kit de balises NFC (Les Echos : Alcatel-Lucent mise sur les objets communicants). Particularité des deux produits : le lecteur de balises est vendu avec des « timbres » à coller où bon vous semble et à associer à l’information que vous désirez. Vous voulez connaitre l’état du trafic avant de partir au travail ? Approchez votre trousseau de clés préalablement « tagué » et l’information viendra à l’écran du mobile. Autrement dit, les objets gardent et acheminent la « mémoire » pour vous.
Et si ce balisage des objets s’étendait au-delà de la sphère privée… J’ai envie de diffuser mon blog à mes voisins ? Je tague un lampadaire de ma rue. Je veux partager des informations sur ma ligne de métro ? Une balise dans une rame et le tour est joué. Le mobilier urbain deviendrait collaboratif. C’est demain…
Grâce à ces balises, la réalité est démultipliée : l’environnement ne se limite pas à ce que vous voyez, mais s’enrichit d’informations à portée de mobile. Cette réalité va jusqu’à s’affranchir d’un balisage préalable : grâce à Wikitube, observez le paysage à travers votre écran et Wikipédia se chargera de vous informer sur les détails du paysage. Une belle synthèse, réelle cette fois entre information collaborative et géolocalisation, pour un résultat impressionnant (Baliz-media : Wikitude, réalité augmentée sur mobile).
La réalité ne se contente plus d’être ce qu’elle semble montrer. Environnement + intelligence = réalité puissance deux, pour des perspectives infinies ! Et même puissance trois, lorsqu’on lui associe le collaboratif. La suite n’est qu’une question de logistique et d’imagination (De l’Internet, des choses et des hommes, Théma Chronos) !
Médias du futur. Stop ! « L’avenir est largement imprévisible »
Comme toute science fiction, cette vidéo sur la révolution média reste… une fiction et le restera car l’avenir ne se prédit pas, surtout de façon aussi primaire.
En 2015, journaux papiers, radios, télévisions ont disparu, date à laquelle le copyright est déclaré illégal (!).Le concept d’information statique (journaux, livres, images, etc.) disparaît et est remplacé par des « flux de connaissance ». Devenu média, voire Prométhée (Diable, l’individu devient un Dieu !) l’individu aux identités multiples voit sa mémoire individuelle se commercialiser. Etc.
Dans ce scénario, le net s’inscrit dans une vision consolidante et englobante. Passons sur les cinq grands médias qui restent (ils sont tous américains sauf la BBC !) et qui deviennent des acteurs de la vie politique. Certes, « l’avenir est largement imprévisible » et « notre incorrigible manie d’innover est [aussi] imprévisible » (Georges Amar – Les principes de réalités face aux nouveaux modes de l’information), mais quitte à prévoir, il faut le faire avec méthode. Cette vidéo en manque singulièrement. Pourtant, elle a été déjà vue 400.000 fois et ça, c’est une nouvelle pratique média imprévisible hier et déjà bien là. ComScore aux USA recense pour le seul mois de décembre dix milliards de vidéo vues. Moralité : Il y a suffisamment à faire avec ce qui se passe devant nous sans spéculer à se faire peur pour demain.